L'absence de système est encore un
système, mais le plus sympathique.
TRISTAN TZARA
Anicet n'avait retenu de ses études secondaires que larègle des trois unités, la relativité du temps et de l'espace;là se bornaient ses connaissances de l'art et de la vie. Il s'ytenait dur comme fer et y conformait sa conduite. Il en résultaquelques bizarreries qui n'alarmèrent guère sa famille jusqu'aujour qu'il se porta sur la voie publique à des extrémitéspeu décentes: on comprit alors qu'il était poète, révélationqui tout d'abord l'étonna mais qu'il accepta bonnement,par modestie, dans la persuasion de ne pouvoir lui-mêmeen trancher aussi bien qu'autrui. Ses parents, sans doute,se rangèrent à l'avis universel puisqu'ils firent ce que tousles parents de poètes font: ils l'appelèrent fils ingrat et luienjoignirent de voyager. Il n'eut garde de leur résister puisqu'ilsavait que ni les chemins de fer ni les paquebots nemodifieraient son noumène.
Un soir, dans une auberge d'un pays quelconque (Anicetne se fiait pas à la géographie, basée comme toutes les sciencessur des données sensibles et non sur les intangibles réalités),il remarqua tandis qu'il dînait que son voisin de table d'hôtene touchait à aucun des mets et semblait cependant passerpar toutes les jubilations gastronomiques du gourmet. Anicetsaisit immédiatement que ce convive étrange était un espritlibre qui se refusait à recourir aux formes a priori de la sensibilitéet n'éprouvait pas le besoin de porter les alimentsà ses lèvres pour en concevoir les qualités. «Je vois. Monsieur,lui dit-il, que vous ne tombez pas dans la crédulitéoù se tiennent généralement les hommes, et que, par méprisde leur sotte représentation de l'étendue, vous vous abstenezdes simulacres par lesquels ils s'imaginent changer leursrapports avec le monde. De même que certains peuplescroient à la vertu des signes écrits, de même le communattribue superstitieusement à ses gestes le pouvoir de bouleverserla nature. Je me gausse autant que vous-mêmed'une semblable prétention, laquelle dénote la légèreté d'espritde nos contemporains (mot dénué de sens que j'emprunte,comme vous le pensez bien, à leur propre langage)et la facilité qu'éprouvent les apparences à les abuser de leurjeu. On me nomme Anicet, je suis poète et fais semblant devoyager pour complaire à ma famille. Je ne saurais vousdissimuler combien je brûle d'apprendre à côté de qui jesuis assis. La distinction qui paraît sur votre visage et l'excellencedes principes dont vous avez fait montre en cette occasionm'incitent à n'avoir pas de plus vif désir.» Anicet setut, fort content de soi-même, de l'aménité qu'il avait miseen ses propos, de sa période et de la délicatesse des sentimentsqu'il y avait exprimés, enfin des quelques archaïsmes parlesquels il avait si finement nargué l'idée de temps et la chronologiepuérile et honnête des lourdauds qui présentementse pourléchaient de l'illusion d'un rapprochement de leurpalais et d'une tarte à la crème.
L'inconnu ne se fit pas prier et commença le récit suivant:«Je m'appelle Arthur et je suis né dans les Ardennes, à cequ'on m'a dit, mais rien ne me permet de l'affirmer, d'autantmoins que je n'admets nullement, comme vous l'avez deviné,la disloca