ALEXANDRE DUMAS


LA
SAN-FELICE



TOME II

DEUXIÈME ÉDITION

PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS
RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 13
A LA LIBRAIRIE NOUVELLE



XIX

LA CHAMBRE ÉCLAIRÉE

Il était deux heures du matin, à peu près, lorsquele roi et la reine, quittant l'ambassade d'Angleterre,rentrèrent au palais. Le roi, très-préoccupé, nousl'avons dit, de la scène qui venait de se passer, pritimmédiatement le chemin de son appartement, et lareine, qui l'invitait rarement à entrer dans le sien,ne mit aucun obstacle à cette retraite précipitée,pressée qu'elle paraissait être, de son côté, de rentrerchez elle.

Le roi ne s'était pas dissimulé la gravité de la situation;or, dans les circonstances graves, il y avait unhomme qu'il consultait toujours avec une certaineconfiance, parce que rarement il l'avait consulté sansen recevoir un bon conseil; il en résultait qu'il reconnaissaità cet homme une supériorité réelle surtoute cette tourbe de courtisans qui l'environnait.

Cet homme, c'était le cardinal Fabrizio Ruffo, quenous avons montré à nos lecteurs, assistant l'archevêquede Naples, son doyen au sacré collège, lors duTe Deum qui avait été chanté, la veille, dans l'églisecathédrale de Naples en l'honneur de l'arrivée deNelson.

Ruffo était au souper donné au vainqueur d'Aboukirpar sir William Hamilton; il avait donc tout vuet tout entendu, et, en sortant, le roi n'avait eu queces mots à lui dire:

—Je vous attends cette nuit au palais.

Ruffo s'était incliné en signe qu'il était aux ordresde Sa Majesté.

En effet, dix minutes à peine après que le roi étaitrentré chez lui en prévenant l'huissier de servicequ'il attendait le cardinal, on lui annonçait que lecardinal était là et faisait demander si le bon plaisirdu roi était de le recevoir.

—Faites-le entrer, cria Ferdinand de manièreque le cardinal l'entendît; je crois bien que monbon plaisir est de le recevoir!

Le cardinal, invité ainsi à entrer, n'attendit pasl'appel de l'huissier et répondit par sa présence mêmeà ce pressant appel du roi.

—Eh bien, mon éminentissime, que dites-vousde ce qui vient de se passer? demanda le roi en sejetant dans un fauteuil et en faisant signe au cardinalde s'asseoir.

Le cardinal, sachant que la plus grande révérencedont on puisse user envers les rois est de leur obéiraussitôt qu'ils ont ordonné, toute invitation de leurpart étant un ordre, prit une chaise et s'assit.

—Je dis que c'est une affaire très-grave, répliquale cardinal; heureusement que Sa Majesté se l'estattirée pour l'honneur de l'Angleterre et qu'il est del'honneur de l'Angleterre de la soutenir.

—Que pensez-vous, au fond, de ce bouledogue deNelson? Soyez franc, cardinal.

—Votre Majesté est si bonne pour moi, qu'avecelle je le suis toujours, franc!

—Dites, alors.

—Comme courage, c'est un lion; comme instinctmilitaire, c'est un génie; mais, comme esprit, c'estheureusement un homme médiocre.

—Heureusement, dites-vous?

—Oui, sire.

—Et pourquoi heureusement?

—Parce qu'on le mènera où l'on voudra, avecdeux leurres.

—Lesquels?

—L'amour et l'ambition. L'amour, c'est l'affairede lady Hamilton; l'ambition, c'est la vôtre. Sa naissanceest vulgaire; son éducation, nulle. Il a conquisses grades sans mettre les pieds dans une antichambre,en laissant un oeil à Calvi, un bras à Ténériffe,la peau de son front à Aboukir; traitez cet homme-làen grand seigneur, vous le griserez, et, une foisqu'il sera gris, Votre Majesté en fera ce qu'elle voudra.Est-o

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