DERNIERS SOUVENIRS
D'UN MUSICIEN

PAR
ADOLPHE ADAM
MEMBRE DE L'INSTITUT

NOUVELLE ÉDITION

PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS
RUE AUBER, 3,PLACE DE L'OPÉRA

LIBRAIRIE NOUVELLE
BOULEVARD DES ITALIENS, 15,AU COIN DE LA RUE DE GRAMMONT

1871
Droits de reproduction et de traduction réservés

OUVRAGES
DE
ADOLPHE ADAM
Publiés dans la collection Michel Lévy

SOUVENIRS D'UN MUSICIEN1vol.
DERNIERS SOUVENIRS D'UN MUSICIEN1

CLICHY.—Impr. P. Dupont et Cie, rue du Bac-d'Asnières, 12.

DERNIERS SOUVENIRS
D'UN MUSICIEN

LA JEUNESSE D'HAYDN

I

Dans un joli petit village situé sur la frontière de l'Autriche,à quinze lieues de Vienne, vivait, il y a plus decent ans, un pauvre charron nommé Mathias Haydn.Ce brave homme n'était pas riche; mais ses désirs étaientsi bornés, qu'il se trouvait heureux du peu qu'il possédait.Toute l'année il avait l'entretien des charrettes etgrosses voitures de ses voisins. Ces pauvres gens, aussipeu fortunés que lui, le payaient bien rarement en espèces,mais ils fournissaient à ses besoins par des dons ennature pour prix de son travail. Une seule fois dans l'année,le père Haydn avait l'occasion de gagner quelquesflorins: c'était lorsque le comte de Harrach, seigneur duvillage, s'apprêtait à retourner à Vienne, à l'entrée del'hiver; il faisait alors remettre en état sa voiture devoyage, et le père Haydn n'était pas peu fier, quand la berlinedu comte venait se poster devant sa modeste bicoque,qu'il décorait alors du nom d'atelier de charronnage.Bien souvent il cherchait avec peine, et sans pouvoirla découvrir, quelle était la partie défectueuse de la voiturequi avait besoin de réparation. C'est que le comtede Harrach connaissait la pauvreté de notre charron, etque, lui devant protection comme à son vassal, il ne voulaitpas l'humilier et avait toujours l'air de lui donnercomme prix de son travail le secours annuel qui apportaitun peu d'aisance dans le ménage. Depuis quelquesannées le charron avait épousé une cuisinière du comte;celle-ci avait quitté le service lors de son mariage, maisn'avait pas oublié les bontés de son ancien maître.

Lorsque le père Mathias avait reçu de l'intendant lapetite somme qu'il croyait avoir gagnée, c'était grandefête dans la maison et je dirai presque dans le village.Allons! nous voilà riches à présent; dimanche, grandconcert, s'écriait le père Mathias, et le premier prélèvementqu'il faisait sur son pécule était pour aller à la villevoisine acheter les cordes de harpe qui manquaientdepuis quelque temps à son instrument favori.

Nous autres Français, nous avons peine à nous imaginerun petit charron d'un obscur village, cultivantl'instrument de Labarre et de Boscha; pour qui connaîtun peu les mœurs allemandes, cela n'a rien d'étonnant.

Le dimanche, après les offices, auxquels il

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